Par Amy
Première parution Juin 2015
Cela fait quelques mois que je, soussignée Amy, suis partie en Espagne pour mon semestre Erasmus. Ca a été l'occasion de découvrir un pays, d'apprendre une nouvelle langue, de tester des trucs étranges en terme culinaire mais surtout de m'imprégner d'une culture jusqu'ici inconnue. On pourrait croire que parce que l'Espagne est une proche voisine, elle ressemblerait davantage à la France. Pourtant j'ai constaté à peine quelques minutes à avoir atterri que ça n'était absolument pas le cas.
Le but de cet article n'est en aucun cas de dresser un tableau comparatif de nos deux pays, ni de vous relater mon aventure au doux parfum de sangria (ahhhh, le cliché...) mais plutôt, tout simplement, de revenir sur un aspect de ma vie à Madrid qui m'a particulièrement frappée : la façon dont est perçue la "différence". Je vous parle ici, bien entendu, d'appartenance à des mouvements culturels ou des tendances mode inhabituelles, comme on les aime chez Noire, ainsi que le rapport de la société vis-à-vis de ces gens-là.
Premièrement (et j'en étais la première étonnée), dans la rue, force est de constater qu'on ne croise pas de gens overlookés à tous les coins de rue. Vous me direz, chez nous non plus... M'enfin, baladez-vous dans le centre de Nantes, dans le XIème arrondissement de Paris et vous croiserez probablement plus de lolita, goth, emo et autres steampunks en une après-midi que j'en ai croisé à Madrid. Je vous parle de gens aux looks très affirmés, facilement identifiables, pas de métalleux tranquille avec son t-shirt de groupe et son catogan. Ceux-là, en revanche, sont partout et assez fréquents. Pas mal de personnes arborent des looks originaux mais relativement passe-partout. La Doc Martens est adoptée par une très large frange de la population, de 7 à 77 ans et dans une ville touristique comme Madrid, la moitié des gens aux looks les plus improbables sont souvent des étrangers.
Pour vous dire, j'ai fréquenté régulièrement une "boîte metal" (un concept absolument merveilleux qui devrait exister partout, une boîte de nuit qui vous passe du Iron Maiden, Sabaton et autre Death Metal jusqu'au bout de la nuit) et même là, les gens étaient étonnament "normaux". Enfin, je veux dire, aussi normaux que vos potes de pogo au Hellfest, quoi.
La seconde chose très frappante, c'est la normalité du tatouage et du piercing. Être piercé et tatoué à Madrid, c'est juste normal. C'est courant. La moitié des gens de ma classe étaient tatoués. Mon prof était tatoué. Pas de problème, tout va bien. Alors, on peut dire aussi qu'en France "il y en a beaucoup, c'est juste qu'on ne les voit pas".
Mais c'est justement la différence ! Ici, à Madrid, on le voit et on s'en fout ! Le policier en poste devant la mairie avec sa manchette maori ? Normal. La serveuse du restaurant avec sa manche Alice au pays des merveilles et sa jambe tatouée ? Normal. Le vendeur de la boutique téléphonique, avec un écarteur de 4 cm dans chaque oreille, une grosse barbe, des tattoos lui couvrant bras et cou sous son polo bleu turquoise et un énorme anneau dans le nez ? Normal.
Il n'est pas discriminatoire ici à Madrid et je suppose dans toute l'Espagne, d'être tatoué ou piercé pour être considéré comme professionnel. Dans toutes les catégories de métiers avec lesquelles j'ai été en contact, aucune ne m'a paru discriminer les modifications corporelles. Chez Lush, l'un des vendeurs arborait une crête violet vif !
On aurait pu croire que c'était juste moi et ma forte propension à les repérer pour le simple plaisir de mes mirettes, mais quand mes parents sont venus, force est de constater qu'ils ont remarqué également l'extraordinaire propension des gens à être tatoués et à le montrer, même au boulot.
Du coup, forcément, ça m'a frappée. La différence avec la France est si flagrante qu'elle est à hurler d'injustice. Paradoxalement, la quasi-absence de personnes aux looks très affirmés rend l'opposition encore plus évidente. Si la différence semble être si bien acceptée, si ça ne choque personne de se faire servir au resto par une nana avec un anneau dans le nez, que le vendeur ait les cheveux bleus ou le flic une manchette tatouée, alors pourquoi personne n'en profite pour en rajouter des tonnes niveau dégaine ?
Je pense personnellement que la réponse est probablement là, c'est en tout cas l'analyse que j'en fais. Souvent, adopter un look très marqué est souvent un acte de rébellion, façon je "deviens goth" à 14 ans, pour emmerder mes parents. A partir du moment où la société n'y voit aucun signe de rébellion mais juste d'affirmation de soi, alors on est libre de s'affirmer comme on veut, justement. On ne ressent plus le besoin de hurler à la face du monde à quel point on n'est pas pareil et on s'accorde plus facilement pour porter ce qu'on veut, quand on veut, sans forcément avoir envie d'en rajouter des couches juste pour faire chier la mamie du coin de la rue.
C'est ainsi que Madrid se retrouve peuplée de gens aux multiples tattoos et aux piercings voyants sans que ça ne dérange personne et que je n'ai croisé que deux lolitas, trois emos, quatre punks, une superbe steampunk dans le metro et deux true goths en plusieurs mois. Rendez-vous compte, je peux les compter !
En revanche, j'ai croisé un nombre incalculable de cheveux roses, bleus, violets (même sur une mamie de 75 ans, vous n'avez qu'à imaginer), de tatoués, de piercés, de mecs aux cheveux longs ou de nanas au crâne rasé, dans des endroits parfois improbables. Perso, je trouve ça formidable : ici, on juge les gens sur ce qu'ils sont et pas sur ce qu'ils paraissent.
En France, je reçois encore des réflexions du type "pense à enlever des piercings avant ton entretien d'embauche", quand bien même je n'ai que des trous dans les oreilles ou "mets un foulard pour cacher ton tatouage dans la nuque", comme si le fait d'être une passoire couverte d'encre diminuait de quelque façon mes qualités professionnelles, ma capacité à accomplir une tâche ou à être une personne responsable et mature. Je me rappelle vous dire, chers lecteurs, dans le dossier sur le tatouage "attention à l'emplacement, qu'il ne vous porte pas préjudice". Parce que c'est ainsi qu'on nous apprend à penser dans notre société française et notre environnement professionnel.
A ce sujet, l'Espagne a donc un sacré train d'avance sur nous, puisqu'ici, bah en gros, tout le monde s'en fout. J'en veux pour preuve la campagne de pub qu'on attend toujours chez nous contre la discrimination des bods/mods. D'aileurs, pour vous donner une idée, c'est tellement normal de faire tout ça en Espagne qu'un piercing coûte en moyenne 10 euros, quel qu'il soit et qu'on retrouve énormément de salons de tatouage (mais paradoxalement assez peu de grands artistes).
C'est un peu comme l'homosexualité et le mariage gay. Ici, être gay, c'est normal aussi. Les gens s'affichent en couple ou avec des looks très genrés. Il y a également un quartier très prisé de Madrid, Chueca, considéré comme le "quartier gay". On y retrouve des boutiques qui s'affichent très ouvertement comme destinées à cette clientèle, avec des coiffeurs, des clubs de gym ou des clubs de strip-tease. D'ailleurs, le mariage homosexuel est ici légal depuis 2005, soit dix ans avant nous et ce malgré l'importance énorme de l'église catholique en Espagne ! J'ai vraiment eu la sensation qu'ici, on avait le droit d'être qui on voulait et que le respect régnait bien plus que chez nous. J'ai peut-être tort, mais après tout, je l'ai surtout vécu d'un point de vue extérieur, l'étrangère qui ne voit que le meilleur côté de la ville, mais tout de même. Cet esprit de liberté transpire un peu partout dans la ville et le pays.
Après ce petit séjour ma foi très formateur à Madrid, je ne peux donc qu'être armée d'optimisme et penser que la France évoluera dans le même sens que sa propre voisine, penser que bientôt, nous n'aurons plus à nous "déguiser" pour pouvoir bosser sereinement. C'est d'ailleurs quelque chose qui me semble logique, en termes d'évolution, puisque les jeunes d'aujourd'hui, en proportion plus tatoués (20 % des 18-45 ans) seront les patrons de demain. Alors, haut les cœurs, c'est un peu comme le mariage gay, plus que quelques années à entendre des réflexions aussi sympatoches que "mais faut que t'arrêtes sinon tu ne trouveras jamais de boulot !". Si nos voisins l'ont fait, alors nous aussi !
A retrouver dans le numéro 8 de Noire
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