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Photo du rédacteurNoire Lemag

L'art celtique

Par Dolorès

Première parution Mars 2015



Crédits photo : Wikipedia (le casque d'Agris)


Cet article tentera d'évoquer ce que fut l'art celtique, c'est à dire l'art développé par les peuples appelés celtes, à l'Âge du Fer en Europe. Il faut tout d'abord expliquer rapidement de qui on parle précisément, car ceux-ci restent assez méconnus aujourd'hui. La culture celtique a pour noyau l'Europe Centrale de la fin du Halstatt (première moitié de l'Âge du Fer) et s'est étendu à partir du Vème siècle avant notre ère (pendant la Tène, seconde moitié de l'Âge du Fer), par imprégnation et contacts avec différents peuples déjà présents.


Il n'y a pas un seul peuple celte mais des peuples celtes, dont on ne peut pas déterminer une unité biologique, et qu'on ne peut comparer à l'empire romain par exemple car il n'y avait pas vraiment d'unité, ni politique, ni économique. Malgré cela, on les rassemble grâce à certains éléments : des langages communs ou apparentés, une culture orale de manière générale et plus particulièrement une culture artistique qui porte un fond commun très prononcé.


On peut connaître cet art et tenter de le comprendre grâce à l'archéologie principalement. Néanmoins, il faut déjà accepter l'idée qu'on n'aura jamais la totalité des informations sur ces objets, qu'on ne pourra jamais reconstituer une réalité. Il faut également poser les questions suivantes : à quel point les vestiges technologiques sont-ils représentatifs de la société à laquelle ils ont appartenu ? Etaient-ils réservés à une élite ? Les fouilles archéologiques étant également liées à cette compréhension.


Si ces objets, pour beaucoup, sont somptueux, nous devons néanmoins accepter de ne pas pouvoir répondre à toutes les questions. Il faut voir l'art celtique avec un oeil réaliste plus que romantique : nous nous sommes intéressés dès le XIXème aux productions des celtes, ce qui a permis un premier élan, mais l'inconvénient reste la prolifération d'interprétations fantaisistes et hâtives sur toutes sortes de sujets. Tous les objets ne sont pas forcément liés à des sacrifices, à des rituels occultes ou à l'activité des druides...



Crédits photo : Torque de la tombe de Vix, Wikipédia


Pour l'étudier, il faut également oublier notre définition moderne de l'Art. À l'Âge du Fer, un artiste est surtout un artisan. Il confectionne des éléments du quotidien (poteries, armes, pièces de harnachement, fibules et parures) et en profite pour y ajouter une expression artistique. L'art ici désigne plus l'objet, que le processus comme on peut le voir aujourd'hui, bien que la symbolique et le message aient leur importance aussi. Cette notion d'art passe avant tout par le support, encore davantage lorsqu'on a pas tout le contexte de fabrication permettant d'attester d'un quelconque message sûr et prouvé.


Comme son nom l'indique, l'Âge du Fer est la période des productions métalliques par excellence. Le métal est également un matériau qui se conserve mieux que d'autres (le bois par exemple) et nous permet donc de faire parvenir de nombreux vestiges jusqu'à nous. On a tout de même des exemples d'art celtique sur céramique ou sur pierre avec notamment des stèles funéraires, bien connues en Bretagne. Les celtes savaient s'adapter en fonction des supports, mais connaissaient également de nombreuses techniques pour effectuer leurs motifs : repoussé, moulage, forgeage, incisions...


Afin de voir ce phénomène dans son évolution générale (que Jacobstahl est le premier à étudier avec Early Celtic Art en 1944), on peut distinguer quatre grandes phases de transformation pour l'art celtique.


  1. Le premier art celtique (Vème siècle avant notre ère environ)

Il s'agit de la mise en place du vocabulaire et des motifs. On y trouve des feuilles de lotus, des palmettes, des esses (en forme de S...), cercles doubles ou triples... Ces motifs semblent largement empruntés aux mondes méditerranéens ou orientaux. Un motif précis reste plus précis au style celtique, il s'agit de la goutte d'eau ou feuille de gui.


2. Le style végétal continu ou style de Waldalgesheim (fin Vème, IVème siècle)


Les motifs restent les mêmes mais la composition diffère. On prend pour référence les bijoux de Waldalgesheim pour illustrer cet art complexe, exubérant, au décor extrêmement couvrant. On parle de style "continu" car les motifs sont désormais rassemblés, enchaînés et pas seulement juxtaposés, ils forment des rinceaux. Ces motifs circulent, car on retrouve des objets semblables ou en tout cas, comparables, autant dans les Gaules qu'en Italie.



Crédits photo : Balkan Celts Wordpress


3. L'apogée du style végétal et le style plastique (IV et IIIème siècle)


Les décors comment ici à prendre du relief. L'art y est moins graphique, prend une dimension tridimensionnelle. Si les objets tels que les parures prennent du volume, le style gagne une place également sur les poteries (anses sous forme d'animaux), sur les boucliers... On développe notamment en Outre-Manche un art des boucliers (comme on a un art des épées par exemple).


4. Le style sévère (II et Ier siècle avant notre ère)


Le nom donné à ce style correspond à une notion d'appauvrissement. Il n'est d'ailleurs pas utilisé que pour l'art celtique et c'est un terme qu'on retrouvera en sculpture grecque par exemple. Techniquement, les objets sont aboutis, mais on perd en esthétique. Le phénomène d'aculturation liée à la présence romaine pourrait expliquer cette plus faible affirmation de l'art lié aux peuples celtes.


Une fois passée cette catégorisation, il faut tenter d'aborder l'art celtique avec d'autres idées. Dans son développement, on remarque que les mêmes motifs abstraits reviennent, mais également qu'il y a une certaine constante avec certains thèmes : végétaux, animaliers, les jeux de contrastes et d'associations...


Venceslas Kruta, un archéologue et historien français, spécialisé dans cette période, avait évoqué cet art d'une manière assez parlante, considérant l'art celte à son apogée, comme un "jeu de courbes et de contre-courbes, d'entrelacs et de fuyantes formes végétales ou animales soumises à une déformation permanente".


En plus des motifs du premier style, l'art celtique prend pour éléments majeurs les figures animales, même humaines à leur manière, en choisissant très fréquemment de les déformer, de les modifier, selon le principe d'adoption-adaptation (adoption d'un motif vu, puis adaptation à leur manière). Le visage humain est donc un des éléments majeurs... à sa manière. Les celtes ne représentent pas ceux-ci de façon comparable à la réalité, mais plutôt abstraite, d'où l'idée de déformation qui revient.



Crédits photo : Blogostelle


Leur imaginaire est très développé et il arrive même que la réprésentation humaine rejoigne les motifs standards : gouttes d'eau/feuilles de gui pour les yeux d'un visage par exemple. L'idée de "jeu" même si elle peut être exagérée, revient avec l'idée d'un visage humain réversible, trouvé à Bad Dürkheim : dans un sens on y voit un jeune homme, en le retournant il se transforme en personne âgée.


On trouve finalement le visage humain partout : plaques de ceinture, fibules, fourreaux d'épée, bas de cruche...


Les figures animales ont également leur part : oiseaux, bovins, chevaux et sanglier, l'animal "fétiche" des gaulois notamment. Ceux-ci, lorsqu'ils ne sont pas représentés en petite statuette individuelle, peuvent prendre des dimensions assez énormes. Le casque de Ciumesti met en valeur un oiseau articulé, fixé au-dessus du casque, plus grand que celui-ci.


On y cherche un certain réalisme, mais aussi une dimension impressionnante. À l'inverse, on trouvera de nombreuses représentations animales plus stylisées, naïves, où les attributs des animaux sont accentués, presque caricaturés. Comme pour les visages, ils s'importent partout, qu'ils soient des animaux réels ou issus d'un bestiaires fantastiques.


À force de stylisation, végétal et animal se mêlent, que ce soit associés côte à côte ou complètement intégrés, créant de nouvelles compositions mais ces animaux ne semblent pas anodins et ils se rapprochent à la fois du panthéon gaulois que l'on connaît et à ceux mentionnés dans les textes mythologiques qui commencent à apparaître au Moyen Âge, associés à des divinités, Cernunnos et ses bois de cerf, Epona la divinité équestre ou à des hommes. Néanmoins, les représentations figurées des dieux sont assez tardives et n'apparaissent pas au début de la période celtique.


Finalement, la grande majorité de ces objets exubérants sont bien évidemment à but prestigieux, importables pour ce qui est des parures et des casques, plus d'apparat qu'autre chose, ayant sans doute une fonction symbolique et/ou prestigieuse. Le torque, un bijou assez courant pour les peuples celtes, pouvait se décliner de sa forme la plus simple à des colliers massifs de plus d'un kilo, comme celui de Snettisham par exemple.



Crédits photo : Torque de Snettisham, Antiquitéromaine.fr


On peut en conclure que même lorsque l'art celtique prend place sur des objets non fonctionnels, qu'on ne peut pas forcément utiliser ou porter, il reste lié à l'artisanat : ces objets devenus importables sont avant tout devenus utilitaires, dans leur forme la plus courante. L'art celtique ressemble donc, dans ce cas-là, à une manière de signifier un goût du décor prononcé, ainsi qu'un statut social : les fibules (épingles à tuniques) ou les torques sont portés par tous, c'est lorsqu'ils sont richement ornés qu'ils peuvent démontrer leur appartenance à une certaine élite. Vu la quantité d'or et la précision des détails minuscules de certaines pièces, on imagine mal qu'un individu quelconque puisse s'offrir de telles splendeurs.


La disparition de ces motifs et la perte de préciosité de ces objets débute donc avec le style sévère, dans les deux derniers siècles avant notre ère. À quelques exceptions près...


En Irlande, la tradition se perpétue, reprenant les habitudes continentales. Cela tendrait à appuyer l'hypothèse que ce style sévère est lié à la conquête romaine et donc à l'aculturation, puisque l'Irlande reste en marge de ce phénomène. La seconde exception est l'art monétaire , qui permet encore de faire figurer des chevaux, des visages encadrés par une chevelure de motifs en esses...


L'art celtique reste un art méconnu. Les peuples celtes, de manière générale, sont méconnus. Les liens que les différents peuples avaient tissé entre eux, et avec des populations étrangères, soulèvent encore de nombreuses questions, certaines pouvant être abordées par l'archéologie, certaines ne pouvant probablement pas trouver de réponse, ni aujourd'hui, ni jamais.


Si ces objets sont fascinants, il faut néanmoins accepter le mystère qui entoure certains d'entre eux, qui leur donne une part de leur charme, sans essayer à tout prix de le résoudre. Frustrant, mais nécessaire !


A découvrir dans le numéro 7 de Noire

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