Par Dolorès
Première parution novembre 2013
Il suffit d'avoir l'habitude de traîner sur Internet pour voir ce mot partout, copié, collé, approximativement défini, mal compris, trop souvent prononcé : le Steampunk. On cherche à trouver la définition exacte, en oubliant que comme dans chaque univers, chaque communauté il est juste impossible de poser quelques mots sur un terme si global, si vague et autant lié à l'imagination. Plus généralement, on parle pour définir le Steampunk, de rétrofuturisme. On prend le dix-neuvième siècle et la Révolution Industrielle plus particulièrement, on les mêle à une science-fiction supposée de l'époque... Et paf, ça fait du steampunk. Tout un univers imaginaire qui mêle crinolines et et hauts-de-forme à toutes sortes d'expérimentations qui bricolent la mécanique et la vapeur. Plus que du rétrofuturisme, on parle ici d'une uchronie puisque même si cet univers s'inspire de l'époque victorienne, il est pure invention.
A l'origine, ce terme est utilisé pour faire un parallèle littéraire avec le genre du Cyberpunk. K.W Jeter l'invente pour définir des fantaisies littéraires victoriennes, avec humour. Si le terme subsiste volontairement ou involontairement grâce à des auteurs tels que Michael Moorcock ou Paul Di Filippo, qui sont devenus des incontournables du style, c'est seulement récemment qu'il a pris toute son ampleur.
En France, Fabrice Colin et Mathieu Gaborit participent à la diffusion de cet univers avec par exemple Confessions d'un automate mangeur d'opium ou encore le Cycle de Bohème, qui se rapprochent de manière évidente de cet univers et qui font maintenant plus ou moins partie de la liste des romans cultes du Steampunk (où on retrouve notamment Jeter avec ses Machines Infernales).
En général, on fait plus facilement le lien entre ce style et l'univers de Jules Verne, qui constitue comme un point d'ancrage pour ce style en plein essor et une source d'inspiration infinie. Si on considère que le Steampunk naît d'abord dans la littérature, il ne tarde pas à se retrouver sur bien d'autres plans et dans d'autres domaines. Au risque de s'y perdre dans le plus gros débat à propos de cet univers : qu'est-ce qui est Steampunk et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Sans réellement entrer dans le débat, je pense qu'on a tendance à coller cette étiquette un peu vite lorsqu'un film, par exemple, reprend simplement une esthétique victorienne liée à un côté policier et/ou science-fiction.
Dans le terme Steampunk, que l'on peut traduire par "Punk à vapeur", on retrouve l'idée du Do-It-Yourself du Punk "Fais-le toi-même". Il existerait donc deux camps dans les personnes s'intéressant au Steampunk : les "puristes" qui passent leur temps à coudre, bricoler, fouiner dans les brocantes et les autres : ceux qui achètent ce qui a été fabriqué par des firmes chinoises et mis en vente sur d'anciennes boutiques goth reconverties (sans mechanceté, c'est un constat).
Je ne dis pas qu'il est à la portée de tous de coudre un corset, par exemple. Simplement, il y a tout de même beaucoup plus de mérite à porter un costume imparfait mais adapté à son propre personnage plutôt qu'une magnifique tenue que n'importe qui pourrait également porter, qui ne correspond à aucune personnalité.
Le Steampunk est un univers fantastique, mais il devient peu à peu un business. Steampunk Couture, Steamgirl qui tournent autour du personnage de Kato qui est à mon avis, aujourd'hui, une simple barbie qui s'adapte à la mode (ici donc, le Steampunk) et qui en profitent pour se faire de l'argent sur le dos des gens et de la communauté qui n'approuve pas forcément l'image qu'elle donne de ce mouvement. Ce sont évidemment des exceptions, comme tout ce qui peu à peu apparaît aux yeux du grand public, on a les mauvais et les bons côtés. L'avantage du Steampunk et du fait qu'il ne soit pas tellement défini avec précision, permet aux imaginations de tous de s'y mêler.
De plus en plus, en libraire, on a droit à des romans aux couvertures sublimes au rayon Science-Fiction, sur un thème se rapprochant du Steampunk. J'en ai récemment lu deux d'entre eux.
Tout d'abord, les Revenants de Whitechapel de Georges Mann. S'y mêlent enquêtes et dignes de Sherlock Holmes, incroyables avancées technologiques, fraîcheur dans la relation des personnages, le tout dans un Londres infesté de créatures étranges. Sans être extraordinaire, ce roman permet de poser quelques bases sur l'idée du Steampunk et son esthétique décrite, tout en se permettant quelques expériences littéraires, en mêlant de nombreux genres et de nombreux thèmes en un seul tome (le premier de la série Les Enquêtes Extraordinaires de Newbury et Hobbes). C'est le genre de roman que je conseillerai à quelqu'un qui souhaiterait découvrir en détails le genre d'univers qu'on considère comme Steampunk, car celui-ci est extrêmement détaillé, sans être compliqué. Il se lit très facilement et grâce à sa petite touche d'humour anglais qui fait plaisir. Ça manque peut-être un peu de profondeur, sans être décevant.
Ensuite, le premier tome de la série Leviathan par Scott Westerfeld. Le roman est censé être destiné à un public jeune, je le trouve pourtant bien plus complexe que Les revenants de Whitechapel, par exemple. On sort un peu plus des acquis du Steampunk pour se balader à la veille de la Première Guerre Mondiale, dans une Europe divisée entre deux camps : les Darwinistes, adeptes de la manipulation génétique et des surprenantes capacités du vivant et les Clankers, qui ne jurent que par les machines et les avancées de la mécanique. Le roman retrace l'histoire sous un angle nouveau, apporté par la Science-Fiction, tout en alternant les points de vue de chacun des camps à travers des yeux adolescents. Si le style d'écriture et la narration ne sont pas exceptionnels, les personnages sont pourtant ultra-attachants et tout ce monde (qu'on connaît si bien, car c'est le nôtre) recrée et hallucinant tant il est détaillé et délirant.
Le roman permet de montrer que même en faisant partie de la littérature jeunesse et même en reprenant des basiques du Steampunk, on arrive toujours à repousser des limites, créer et recréer, inventer et à trouver de nouvelles fantaisies à raconter. Le Steampunk prend ses racines dans la littérature, mais il fallait bien se douter que cet univers s'étendrait à tous les arts.
On le définit très souvent grâce à son esthétique, à des manifestations visuelles : alors, comment peut-on faire de la musique Steampunk ? Les styles néoclassiques (pour le côté historiques) et le rock (pour le côté industriel) sont bien sûr fortement représentés. Mais on retrouve de tout... Parmi les plus connus, ABNEY PARK (plutôt rock, indus, électro, je pense qu'il réussit à être fun à écouter tout en réussissant à merveille à créer ce qu'on imagine être de la musique Steampunk ou encore DR STEEL (du hip/hop assez spécial, que j'ai toujours du mal à apprécier). Nombreux sont ceux à adopter un artwork et des images promotionnelles plus ou moins Steampunk, mais il est difficile de créer un genre musical entièrement nouveau. Personnellement mes petites découvertes personnelles sont diverses.
ESCAPE THE CLOUDS et son album Circumnavigator mêle du rock, parfois plutôt ambiant avec une forte présence d'instruments à cordes, en passant par des sonorités plus orientales et exotiques. J'ai également découvert l'existance d'un "opéra Steampunk" : THE DOLLS OF NEW ALBION, par Paul Shapera. Sans être musicalement extraordinaire, on a l'impression d'une comédie musicale inspirée par l'esthétique de la littérature Steampunk sur 90 minutes, mêlant plusieurs styles en gardant une trame, des thèmes musicaux tout du long. J'ai beau trouver cela un peu niais, je l'apprécie énormément pour l'idée, la conception et l'interprétation des chanteurs. Le problème c'est qu'on arrive à coller l'étiquette Steampunk à tout ce qui s'inspire de la musique victorienne en la mêlant à des sonorités modernes (c'est le cas pour moi d'EMILIE AUTUMN ou RASPUTINA).
Cela se fait également sur les films, de nombreux films de science-fiction avec un lien avec le XIXème sont maintenant considérés comme Steampunk, alors que sortis bien avant que le terme devienne à la mode. Y-a-t-il réellement des films Steampunks ? C'est une très bonne question et je pense que personne ne peut réellement trancher. On ne peut en être sûr qu'à partir du moment où une oeuvre est réalisée en suivant l'idée de créer quelque chose connoté Steampunk.
Il existe des centaines d'artistes qui travaillent sur le sujet du Steampunk. Seule une exposition m'aura marqué, tant pour la maîtrise des différents arts que pour les idées de l'artiste. Elle s'est établie aux Utopiales en 2011 et tournait autour du personnage et de l'histoire du Docteur Grordbort (par Greg Broadmore, designer graphique chez Weta Workshop). Entre conquête d'un monde aux étranges créatures (dont on a les sculptures ramenées comme des trésors de chasse), mise au point d'armes laser au design retrofuturiste et peinture de scènes les plus évocatrices de son histoire, l'exposition tourne autour de différents domaines pour une seule histoire.
Et il faut l'avouer, je l'ai vue trois ou quatre fois et j'étais toujours aussi impressionnée. Un court-métrage a ensuite suivi pour ce même personnage.
Le Steampunk partout ? Peut-être, il est de plus en plus représenté, entre le côté marginal du geek et le côté tendance du vintage. L'édition 2011 des Utopiales, à Nantes, s'est assez centrée sur le terme, en l'utilisant tout en le questionnant. Mais ce n'est pas le seul festival français (je pense à Geekapolis notamment). Le terme est de plus en plus sur les lèvres des Français, même si porté avant tout par les Américains et d'autres anglophones sur Internet.
Pourtant, la communauté française s'investit de plus en plus. Sur Paris, on trouve toutes sortes d'évenements, mais aussi dans la France entière grâce au Steam Tour. Le concept : trois week-ends dans l'année, chacun dans une ville différente à chaque fois. On peut ainsi voir des hordes de Vaporistes (le mot utilisé le plus souvent en France pour désigner les gens qui s'intéressent et s'impliquent dans ce mouvement). Certains rendez-vous deviennent réguliers : Les Utopiales, Ganges 1900, les journées de Noël, les pique-niques (notamment le Pique-Nique Victorien d'Amiens), les Nuits Vaporistes... J'ai la chance de vivre à Nantes qui est une ville "très steampunk" finalement, grâce aux Machines de L'Ile, le musée Jules Verne entre autres. La communauté Steampunk est ici l'une des plus agréables que j'ai pu fréquenter, avec un esprit très familial et très convivial, toujours à se donner des conseils, à parler sérieusement ou beaucoup moins sérieusement, rendre service...
C'est aussi un mouvement qui rasssemble tous les âges et toutes sortes de personnes, pour en avoir eu la preuve à plusieurs reprises. C'est agréable de savoir que ce genre de communauté existe. Toujours dans l'expérimentation, la création artistique, la curiosité, l'imaginaire et la bonne humeur.
A retrouver dans Noire numéro 2
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Tags : #steampunk
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